samedi 31 octobre 2020

Demain… (2)



Demain


Âgé de cent mille ans, j’aurais encor la force
De t’attendre, ô demain pressenti par l’espoir.
Le temps, vieillard souffrant de multiples entorses, 
Peut gémir : Le matin est neuf, neuf est le soir.

Mais depuis trop de mois nous vivons à la veille, 
Nous veillons, nous gardons la lumière et le feu, 
Nous parlons à voix basse et nous tendons l’oreille
À maint bruit vite éteint et perdu comme au jeu.

Or, du fond de la nuit, nous témoignons encore
De la splendeur du jour et de tous ses présents.
Si nous ne dormons pas c’est pour guetter l’aurore
Qui prouvera qu’enfin nous vivons au présent. 


Robert Desnos, 1942

samedi 24 octobre 2020

Demain… (1)


Mes amis, la peine est de ce monde ;

La peine est de ce monde

je le sais bien.


Comment deviner sur la fragile branche,

Le nom des saisons à venir ?


La peine est de ce monde,

ô mes amis que j'aime,

Mais chaque fleur d'orage

porte la graine de demain.


Andrée Chedid

La Fleur d'orage

in Textes pour un poème

dimanche 18 octobre 2020

Soir d'été… (7)


Je vois toujours le ciel

pour la première fois


Je ne me suis jamais habitué à vivre :

j’ai beau connaître les cieux

aussi bien que moi-même

je vois toujours le ciel

pour la première fois

et la rose fardée

par les soins du couchant

 

J’ai beau connaître les cieux

aussi bien que moi-même

je vois toujours le ciel

pour la première fois

et l’orange fondre

dans les voiles du lointain

je ne peux m’habituer

à voir le soleil se coucher…


D'après J'ai raison d'être folle

in Le Livre des anges

de Lydie Dattas

lundi 12 octobre 2020

Soir d'été… (6)



Couchant à Mzouazia


Il meurt sur les plus hautes branches
Un dernier rayon de soleil ;

Le couchant sème d'ors étranges
Sur les flots verts et vermeils.

 

Au ciel pâle d'où le soir tombe,
Dans l'azur gris couleur des eaux,
Glissent comme des éclairs d'ombre
Le pêcheur et son long bateau.

 

Il sort un profond et doux charme
De toutes ces choses, sans fin ;
Tout est joyeux, apaisé, calme ;
Bientôt la nuit, où tout est divin...

 

D'après Fernand Gregh

dimanche 4 octobre 2020

Soir d'été… (5)




Soir d’été

 

Le soleil brûlait l’ombre, et la terre altérée
au crépuscule errant demandait un peu d’eau ;
chaque vague de sa tête inclinait le fardeau
du jour sur l’océan encore doré.


Tandis que l’astre en feu descend et va s’asseoir
au fond de sa rouge lumière,
dans les marais frissonne la prière,
et dans les airs :  «  Bonsoir ! Bonsoir !  »

pas une aile à l’azur ne demande à s’étendre,
pas un souffle ne rôde sur la passe déserte,
dans tout ce grand calme et ces tons adoucis
le moustique à l’affût pourrait t’entendre…

 

D’après Soir d’été de Marceline Desbordes-Valmore

“Un poète doit laisser des traces de son passage non des preuves. Seules les traces font rêver.”

René Char