jeudi 15 décembre 2022

Mot (6)

Libre

 

Être libre

 

Mais de quoi être libre ?

De quelle structure ?

De quel engrenage ?

 

Mais, surtout, de quel questionnement ?

Et libre de quelle impossibilité d’être,

s’il n’y a pas de réponse ?

 

Libre de ce qui est autre que soi ?

Et qui empêche d’être soi-même ?

 

Ou alors faut-il être libre de soi seul ?

 

Non, ce qui importe,

c’est tout simplement,

d’être libre de l’idée de liberté.

Jacques Lelong

mercredi 7 décembre 2022

Mot (5)


Fruit

 

Sans origine et sans destin,

de quoi le fruit premier est-il le fruit ?

D’un  don qui,

né du néant, soit un dû ?

Ou bien d’un don 

qui réponde à un don ?

Et qui établisse pour longtemps 

l’échange donnant vie à la vie ?

Et donnant vie à l’amour…

 

Oui, c’est bien là

le destin du fruit

 

Jacques Lelong

lundi 28 novembre 2022

Mot (4)


Corps

 

Avec le corps,

aller jusqu’à l’issue de l’âge est sans conséquence

dès lors que le corps a dansé tout au long de sa vie

 

Dansé sans aucune entrave,

même — et surtout ! — dans la tourmente

où il aura su déjouer

tous les pièges de la pesanteur

 

Où le corps,

en la présence de lui seul et suivant son instinct,

décide de lui-même,

n’étant jamais dupe de son ombre

 

Ni du faux-semblant

qui fait obstacle à sa faculté d’exister

et d’être, tout à la fois, parce que tout simplement

 

Cette faculté

qu’atteste l’union de deux corps qui s’aiment

 

Jacques Lelong

mercredi 16 novembre 2022

Mot (3)

Fou

 

Fou est celui qui se croit autre que ce qu’il est

Et qui, pourtant, se cherche

Mais qui, pour cela, 

ne cesse de détruire tout ce qui,

autour de lui,

est autre que ce qu’il croit être,

sans aucun discernement

Et sans qu’il soit possible

de lui prêter main-forte car,

dans son délire,

il est aveugle et sourd

 

Ce délire dont ne pourrait le libérer que le doute

 

Le doute qui fonde toute réalité

 

Mais dont il a perdu le chemin

Jacques Lelong


jeudi 8 septembre 2022

Mot (2)

 

Fête

 

 

Sans la vie, il n’y a pas de fête possible

 

Ni risque de guerre

 

Et il n’y a pas de fête possible sans l’enfance

 

L’enfance qui, 

 

sauf à y jouer,

 

ne fait pas la guerre

 

 

Faut-il pourtant une guerre véritable

 

pour qu’ensuite

 

il y ait la fête ?

 

Ou bien, avec l’enfance,

 

l’amour seul peut-il en être l’invité ? 

 

 

Jacques Lelong

samedi 20 août 2022

Mot (1)

Mot après mot,

le plus souvent,

rien ne se dit qui importe

Rien qui soit de source profonde

Et qui résonne en soi

Mais qui, trop souvent,

résonne en soi sans être entendu

Ni compris

et sans que soit rendu possible

un échange

 

Alors qu'un seul mot peut suffire

mais dit à lèvres douces

comme un poème d'amour

Comme en amour

Jacques Lelong

mardi 2 août 2022

Lumière dans le Noir… (7)

Noir

Avec mes mots, j’aimerais jouer du Soulages.

Comme jouer du Pierre Boulez.

C’est lié, car je suis attaché autant à l’un qu’à l’autre.

Pierre Soulages, le peintre de l’outrenoir.

Il vient d’avoir cent ans.

L’outrenoir, à rapprocher de cet extrait du Tao-tö king de Lao-tseu :

« Obscurcir cette obscurité

Voilà la porte de toutes les subtilités. »

Soulages : quel grand œuvre que le sien ! Grand œuvre qui nous invite à voyager dans l’espace-temps sidéral, au-delà de la nuit. Jusqu’à atteindre l’unité de la matière, son absolu – là où elle s’interroge – et, en réponse, la transparence des ténèbres…

Profond voyage ontologique, capteur de lumière après avoir dépassé la densité pour parvenir à l’intensité.

D’où ce petit texte, pour jouer du Soulages :

Quête obscure

à grands traits sur la neige

Puissante de tous les feux

devant lesquels se mettre à nu

Et à grands traits sur la nuit

Où obstinément ne s’abolit

la neige de haute lice

Jacques Lelong

samedi 30 juillet 2022

Lumière dans le Noir… (6)

Nuit

 

Au seuil du sommeil,

faut-il entrer dans la nuit ou faut-il l’accueillir en soi ?

S’offrir à elle ou bien la faire sienne ?

Est-ce la nuit qui s’ouvre à celui qui va s’endormir

ou alors est-ce lui qui s’ouvre à elle ?

Elle, un océan à parcourir,

ou plutôt un gouffre où sombrer ?  

Espace de conquête ou lieu d’abandon ?

 

Lieu d’accès au néant,

sinon à une lumière autre où tout se révèlerait ?

 

C’est à la lisière de la mort que peut se concevoir

l’interrogation, mais pas encore à l’orée du sommeil ;

le sommeil où va continuer de se tisser la vie,

à l’insu du dormeur.

Où, sans qu’il y assiste, se renouvelle, nuit après nuit, sa venue au monde.

Là où se confirme ce qu’il est, en lui-même.

Sans qu’il le sache !

 

Et c’est ainsi qu’au petit matin,

il ne se souviendra de rien, sinon de ses rêves. 

Jacques Lelong

mercredi 1 juin 2022

Prenez-moi en photo… (2)

Balada para un loco (extrait)
 

… Je sais que je suis fou, fou, fou

Ne vois-tu pas la lune qui roule par Callao

Qu’un défilé d’astronautes et d’enfants, comme une valse

Dansent autour de moi… Danse ! Viens, vole !

 

Je sais que je suis fou,  Loco, loco 

Je regarde Buenos Aires depuis le nid d’un moineau

Et je t’ai vu si triste, viens, vole, sens !

Ce fol béguin  que j’ai pour toi…

 

Horacio Ferrer / Astor Piazzolla

mercredi 25 mai 2022

Prenez-moi en photo… (1)

 


Prenez-moi en photo

s'il vous plaît…

Oui, s'il vous plaît

prenez-moi en photo

une dernière photo

une toute dernière… 

Premièrement 

je veux qu'aucun des fantômes que j'ai connus n'y figure

Prenez moi en photo

s'il vous plaît, prenez-la

avant que leurs nuages ne reviennent…

D'après « Photo personnelle», in Anthologie de la poésie palestinienne d'aujourd'hui,
textes choisis et traduits d l'arabe par Abdellatif Laâbi

jeudi 12 mai 2022

L'Éphémère… (4)



Tu souffles la vie
sur ma peau
La vie partout
La vie jusque dans
tes cheveux défaits 
La vie fatiguée de tes yeux
Qui ne peuvent se fermer
au plaisir

Le feu de tes cris
que tu me lances
À travers l'orage
qui s'amène
Un sommeil
Abruti par ta foudre
Faisant s'éteindre
et s'allumer ma tête

Simon Johannin

In La Dernière Saison du monde

mercredi 6 avril 2022

L'Éphémère…(3)




Adieu à l’enfance 

 

Adieu mes jours enfants, paradis éphémère !
Fleur que brûle déjà le regard du soleil,
Source dormeuse où rit une douce chimère,
Adieu ! L’aurore fuit. C’est l’instant du réveil !

 

J’ai cherché vainement à retenir tes ailes
Sur mon cœur qui battait, disant : « Voici le jour ! »
J’ai cherché vainement parmi mes jeux fidèles
À prolonger mon sort dans ton calme séjour ;

 

L’heure est sonnée, adieu printemps, fleur sauvage ;
Demain tant de bonheur sera le souvenir.
Adieu ! Voici l’été ; je redoute l’orage ;
Midi porte l’éclair, et midi va venir.


Ondine Valmore

vendredi 25 mars 2022

L'Éphémère… (2)


Été   

 

La mer
à la robe bruissante de bleu
pose l’émeraude de son regard
sur le carrosse d’or éphémère 
qui nous attend
passants lumineux
pour un voyage insouciant
dans la saison
où la royauté
privilège du mystère
est maintenant une couronne solaire
posée
sur nos vies humbles

Kamal Zerdoumi 

jeudi 17 mars 2022

L'Éphémère… (1)

Rencontre éphémère, 
Toi, un soleil, 
J'enlace les doux moments, 
Pour pallier ma solitude.

Joie éphémère, 
Toi, source d'amour, 
Je cours vers toi, 
À la recherche d'un bonheur.

Passion éphémère, 
Toi, l'extase, 
Une soupape au présent, 
Un plaisir sans lendemain.

Vie éphémère, 
Toi, si fragile, 
Joie et peine naviguent dans le temps, 
Avec un bouquet de souvenance.


Micheline Lantin

Les poésies de l’âme

samedi 19 février 2022

Au plus près… (2)

 

 

Poème des  œufs dorés

et des mines anti-personnelles

 

onze  œufs

que Marie a peint en doré

dans une petite corbeille

garnie de paille sèche

pas douze

onze

je les ai comptés

et en même temps

j'écoute une émission de radio

sur les mines anti-personnelles

et leurs effets

des années après les guerres

mutilations amputations etc.

au Mozambique

il y en a encore onze au km2

pas douze ni vingt

onze

sinon je n'aurais pas écrit

ce poème

 

Roger Lahu

Au plus près

“Un poète doit laisser des traces de son passage non des preuves. Seules les traces font rêver.”

René Char