jeudi 1 novembre 2018

Sur la mappemonde…



Indiquez-moi un seul point
     sur la mappemonde
          où les humains ne souffrent pas

De suite
     j'y accourrai
          pour voir le miracle
               de mes yeux

le humer
     l'effleurer
          et au plus près de cet épicentre

prendre mes quartiers
     le temps de m'assurer
          qu'il n'y a eu ni mirage
               ni tromperie



Abdellatif Laâbi

Extrait du poème Mission
in L'espoir à l'arraché


dimanche 21 octobre 2018

Le cheval noir



Le cheval noir fume
Pas de la pipe
Pas de la cibiche
Mais de la peau
De toute sa peau
De cheval noir

Le cheval noir fume
De sa course folle
Dans la saison du givre
Le soleil mis au pas
Lui caresse le dos
Aucun poil épargné

Pierre Elie Ferrier dit Pef
Mon regard en bagarre
in Toujours un mot dans ma poche
éd. Bruno Doucey

mardi 2 octobre 2018

néant néant…



néant néant dit à chacun son aventure

néant où je viens d'installer mes affaires

             quelque temps



mais pour autant sans toi je vis

             encore



maintenant que partie le vivant c'est toi ma folie

mon amie tu me dis sans voix poursuis le récit

mais de qui mais de quoi le vivant c'est toi


Frédéric Boyer

Peut être pas immortelle, éd. POL



mercredi 5 septembre 2018

Par les chemins…




Par des chemins dissimulés

par des pistes ombragées

par d'impénétrables fissures

mystérieuses jointures

des bouquets sculptés

surgissent comme ça, là…

JeanPaul

mercredi 15 août 2018

Fleur bleue

Au fond de mon assiette

poussent des marguerites bleues

d'un bleu si bleu

que le ciel en est jaloux

d'un bleu si bleu

que la belle bleue

en est jalouse


Sur les bords de mon assiette

coulent des larmes bleues

d'un bleu si bleu

que les marguerites bleues

en pâlissent d'envie

que de bleu, que de bleu

je n'y vois que du bleu !

JeanPaul

samedi 30 juin 2018

Sur la route de l'océan

Ce matin-là

le temps coulait

sous mes pas

j'allais vers l'ouest

vers l'océan

le ciel sentait l'été

avec ses lumières

douces, tendres,

comme des caresses
sur le visage blanchi

par l'hiver…

Les champs déjà blonds

m'encerclaient et

soudain je reconnus

les vignobles de Duras…

Le vent tiède

me parlait de vagues…

jeanPaul

mardi 5 juin 2018

Du sable et des nuages

Je découvre une inflexion
et un timbre nasillard propre
à notre époque —
(Une époque qui s'effrite comme le sable et se soude comme le zinc ;
époque de nuages nommés troupeaux et des cartes métalliques
nommés cerveaux.
Époque de soumission et de mirage,
époque de marionnettes
et d'épouvantail,
époque de l'instant dévorant, époque de descente sans fond).
Mais je n'ai pas d'artère
pour cette époque —
je suis éparpillé
et rien ne me rassemble.

Adonis. Poète syrien né en 1930
Extrait de Psaume in Poésie syrienne contemporaine

vendredi 1 juin 2018

Pleine lune


Je rêve parfois d'un feu sacré,
d'un appel que la peur
n'aurait pas transformé
en bouche cousue, en silence
aussi lourd qu'une massue.

Je rêve — mais est-il bon
de rêver sans prêter attention
aux sursauts du monde ?
aux brûlures du cœur
des hommes humiliés ?

Richard Rognet
Extrait des Frôlements infinis du monde 

samedi 31 mars 2018

Vent





l'air émet quelques sifflements
que l'on attribue aux oiseaux
l'air s'en fiche il est serpent
il glisse entre les roseaux

il fend le saule il est le vent
il soupire dans la lucarne
et chevauche la cheminée
on ne le voit jamais avant


Jean-Claude Pirotte (1939-2014)
Cette âme perdue, in Ajoie
éd. Poésie/Gallimard

samedi 24 mars 2018

Fin du voyage…


Sur la mort d'une rose



Cette rose qui meurt dans un vase d'argile

Attriste mon regard,

Elle paraît souffrir et son fardeau fragile

Sera bientôt épars.



Les pétales tombés dessinent sur la table

Une couronne d'or,

Et pourtant un parfum subtil et palpable

Vient me troubler encor.



J'admire avec ferveur tous les êtres qui donnent

Ce qu'ils ont de plus beau

Et qui, devant la Mort s'inclinent et pardonnent

Aux auteurs de leurs maux.


Et c'est pourquoi penché sur cette rose molle

Qui se fane pour moi,

J'embrasse doucement l'odorante corolle

Une dernière fois.


Raymond Radiguet (1903-1923)

lundi 19 mars 2018

Printemps des poètes : l'ardeur


Oranges amères

J'écris des poèmes nains.
Mes poèmes mélangent
sous le manteau de l'ange
le miel et le venin.
J'écris des poèmes faits main.
Mes poèmes étranges
troublent parfois dérangent
l'ordre hier avec demain.
J'écris des poèmes
en forme d'orange
et votre bouche qui les mange
c'est encore moi qui la peins.

Karel Logis
Ce qui est écrit change à chaque instant


mardi 6 février 2018

Le jaune flamboie




Le jaune ici flamboie
Il vient de notre sang
Aiguiser le désir,
Ouvrir grand les fenêtres,
Arracher le décor de caverne.

Il brûle sur la nappe
En flammes prêtes à la braise
Il aspire la table
Et veut bien
Que l'on rie.

Guillevic
in Ouvrir ; poèmes et proses

mardi 30 janvier 2018

Le vallon de Cazes

Le vallon

Mon cœur, lassé de tout, même de l'espérance,
N'ira plus de ses vœux importuner le sort ;
Prêtez-moi seulement, vallon de mon enfance,
Un asile d'un jour pour attendre la mort.

Voici l'étroit sentier de l'obscure vallée :
Du flanc de ces coteaux pendent des bois épais,
Qui, courbant sur mon front leur ombre entremêlée,
Me couvrent tout entier de silence et de paix.
Là, deux ruisseaux cachés sous des ponts de verdure
Tracent en serpentant les contours du vallon ;
Ils mêlent un moment leur onde et leur murmure,
Et non loin de leur source ils se perdent sans nom.

La source de mes jours comme eux s'est écoulée
Elle a passé sans bruit, sans nom et sans retour :
Mais leur onde est limpide, et mon âme troublée
N'aura pas réfléchi les clartés d'un beau jour.

La fraîcheur de leurs lits, l'ombre qui les couronne,
M'enchaînent tout le jour sur les bords des ruisseaux,
Comme un enfant bercé par un chant monotone,
Mon âme s'assoupit au murmure des eaux.

Ah ! c'est là qu'entouré d'un rempart de verdure,
D'un horizon borné qui suffit à mes yeux,
J'aime à fixer mes pas, et, seul dans la nature,
A n'entendre que l'onde, à ne voir que les cieux.

Lamartine

samedi 27 janvier 2018

Lumières de Lanau

À la lumière

Dans l'essaim nébuleux des constellations,
Ô toi qui naquis la première,
Ô nourrice des fleurs et des fruits, ô Lumière,
Blanche mère des visions,

Tu nous viens du soleil à travers les doux voiles 

Des vapeurs flottantes dans l'air :
La vie alors s'anime et, sous ton frisson clair,
Sourit, ô fille des étoiles !

Salut ! car avant toi les choses n'étaient pas.
Salut ! douce ; salut ! puissante.
Salut ! de mes regards conductrice innocente
Et conseillère de mes pas.

Par toi sont les couleurs et les formes divines,
Par toi, tout ce que nous aimons.
Tu fais briller la neige à la cime des monts,
Tu charmes le bord des ravines.

Tu fais sous le ciel bleu fleurir les colibris
Dans les parfums et la rosée ;
Et la grâce décente avec toi s'est posée
Sur les choses que tu chéris.

Le matin est joyeux de tes bonnes caresses ;
Tu donnes aux nuits la douceur,
Aux bois l'ombre mouvante et la molle épaisseur
Que cherchent les jeunes tendresses.

Par toi la mer profonde a de vivantes fleurs
Et de blonds nageurs que tu dores.
Au ciel humide encore et pur, tes météores
Prêtent l'éclat des sept couleurs.

Lumière, c'est par toi que les femmes sont belles
Sous ton vêtement glorieux ;
Et tes chères clartés, en passant par leurs yeux,
Versent des délices nouvelles.

Leurs oreilles te font untrône oriental
Où tu brilles dans une gemme,
Et partout où tu luis, tu restes, toi que j'aime,
Vierge comme en ton jour natal.

Sois ma force, ô Lumière ! et puissent mes pensées,
Belles et simples comme toi,
Dans la grâce et la paix, dérouler sous ta foi
Leurs formes toujours cadencées !

Donne à mes yeux heureux de voir longtemps encor,
En une volupté sereine,
La Beauté se dressant marcher comme une reine
Sous ta chaste couronne d'or.

Et, lorsque dans son sein la Nature des choses
Formera mes destins futurs,
Reviens baigner, reviens nourrir de tes flots purs
Mes nouvelles métamorphoses.
Anatole France

“Un poète doit laisser des traces de son passage non des preuves. Seules les traces font rêver.”

René Char