lundi 16 novembre 2015

Nouvelle (1) : Je m'appelle Ariane


Je m'appelle Ariane

Elle est aérienne. Un frêle nuage sans fil dans un ciel sans souci. S’appeler Ariane l’a sûrement prédisposée à être aussi légère et joyeuse. Famille stricte : ne mets pas tes coudes sur la table ! Finis ton assiette, sinon au lit sans dessert ! Leçon de piano tous les jours à 18 heures, même le dimanche. Ariane ôte lentement ses coudes de la table ; finit son assiette sans grimacer ; se rend à son cours de piano chaque jour avec ponctualité.

Mais le soir venu, avant de s’endormir, Ariane se glisse avec délice dans son rêve : marcher sur un fil tendu entre les toits des maisons voisines… Oui, Ariane se voit funambule, suspendue dans les airs, une ombrelle en dentelle dans une main, des étoiles multicolores dans l’autre. Puis le marchand de sable passe, et Ariane reprend des forces afin d’affronter les épreuves du lendemain.

Un jour, j’irai loin, très loin, sur mon fil de rêves…
Pablo est d’un bloc. Le cheveu noir et court, les oreilles larges et ouvertes, un regard profond et perçant, des épaules de lutteur, des bras courts terminés par des mains puissantes dont la gauche maintient une palette de couleurs. L’atelier de Pablo, dit le funambule, est blotti entre les murs de la masure la plus haute d’un village de terre.

Pablo peint des scènes nocturnes de la première étoile aux premières lueurs du jour. Depuis des semaines, il s’épuise sur une toile qu'il nomme « Sur le fil ».

Avant de se poser dans cette oasis de montagne, Pablo a été garçon de piste dans un cirque andalous. Il aimait cette vie nomade, la joie, les rires, les oh ! du public quand les funambules défient les lois de la pesanteur. Pablo ne quittait pas des yeux, son équilibriste adorée, qui, une ombrelle à la main, glissait, patinait sur un fil aux lampions multicolores.


Un jour, elle a disparu. Pablo a quitté le cirque, appelé par l’ocre du désert, comme un échos aux couleurs de l’arène perdue. De la terre. Couleur de la terre, une terre de sable. Partout. Les maisons se fondent dans le décor, dans la terre. Des pans de mur, des pavés de glaise séchée, blottis les uns contre les autres. D’autres alignés sur une terrasse, d’autres encore accrochés à la colline, comme épuisés de se retenir au-dessus du vide. L’ocre de la terre domine. Seule une bâtisse blanche percée d’une tour carrée, accroche le regard, laisse espérer quelques signes de vie, froissements d’étoffe, souffles de voix, lorsque la chaleur lourde recule devant le crépuscule.

Ce matin-là, Pablo vient de poser ses pinceaux… Des grattements à la porte. Des rats, des poules, un chien ?  Impossible de plonger au creux de la couche. Ce tableau m’épuise, laisse-t-il échapper en poussant le battant fatigué de l’entrée. Le soleil brutal lui vrille les pupilles. À travers la lumière intense, Pablo devine des boucles brunes… Bonjour, je me suis perdue, j’ai soif… je m’appelle Ariane…

JeanPaul Colomb
04 et 16 novembre 2015

1 commentaire:

“Un poète doit laisser des traces de son passage non des preuves. Seules les traces font rêver.”

René Char